Quelques mots sur la fixation – congélation des échantillons detinés à être analysés par cytométrie en flux

Auteurs : G. Grégori, R. Sussarellu & K. Tarnowska

a) Les fixateurs

Il est souvent difficile de réaliser les analyses par cytométrie en flux directement après le prélèvement des échantillons. Un cytomètre n’est pas systématiquement disponible et libre au laboratoire. Lors d’une campagne océanographique, cela nécessite d’embarquer un cytomètre en flux à bord d’un navire, ce qui n’est pas toujours possible pour des raisons évidentes de logistique, de risque et de coût. Afin de conserver les cellules en l’état jusqu’au moment de l’analyse, il est important d’utiliser des techniques de fixation et de conservation qui permettent de conserver leurs propriétés cellulaires durant les jours, voire les mois qui précèdent leur analyse.

Ces techniques doivent en outre minimiser la perte des cellules et pour les analyses par cytométrie en flux préserver les propriétés de diffusion de la lumière et d’émission de fluorescence (Vaulot, 1989).

Bien que les cellules d’intérêt soient souvent les mêmes (picoplancton auto ou hétérotrophe) il n’existe pas aujourd’hui de méthode unique de préservation unanimement reconnue par la communauté. La littérature contient en effet un nombre important de recettes qui varient soient en qualité, soit en quantité de fixateur utilisé, ou de température de conservation. De plus aucune de ces méthodes ne maintient parfaitement les propriétés des cellules bactériennes et phytoplanctoniques pendant le temps de la conservation.

Indépendamment de la méthode, la perte des cellules au cours de la conservation est inévitable et plusieurs processus en sont la cause. Pour les bactéries par exemple, il s’agit de :
- (i) L’attachement des cellules à la surface du tube et aux autres surfaces (Turley et Hughes, 1992),
- (ii) Le rétrécissement des cellules qui peut provoquer la perte élevée pendant la filtration et la préparation des échantillons,
- (iii) La désintégration des bactéries infectées par des virus dans les échantillons conservés,
- (iv) L’activité enzymatique continuelle et la dissolution des cellules dans les échantillons conservés avec le glutaraldéhyde (Gundersen, 1996).

Il est important de connaitre l’influence des différentes techniques de fixation et de conservation sur les propriétés des échantillons afin de la prendre en considération. La connaissance du taux de perte cellulaire peut permettre de développer des formules mathématiques pour estimer les concentrations réelles des cellules dans l’échantillon initial. La chute de l’abondance cellulaire induite par la fixation et la conservation des échantillons peut aboutir à des sous-estimations dans les études et donc à la sous-estimation du rôle des assemblages microbiens dans les écosystèmes océaniques.

Quelques changements généraux s’opèrent dans les échantillons fixés par rapport aux ceux qui ne le sont pas, comme par exemple la l’augmentation de la porosité qui peut améliorer la vitesse de pénétration des colorants (fluorochromes).
Mais la fixation présente également un certain nombre de désavantages :
- (i) Les marquages sur des cellules viables pour étudier les potentiels membranaires et les activités enzymatiques ne peuvent pas être appliqués aux cellules fixées,
- (ii) Le tri pour vérifier les fonctions physiologiques comme la mise en culture n’est pas possible,
- (iii) Les propriétés de diffusion de la lumière changent,
- (iv) L’intensité de fluorescence après l’association de fluorochrome avec certaines molécules cibles peut être plus faible par rapport à celle des cellules non fixées,
- (v) Des changements de conformation des macromolécules peuvent causer des difficultés lors d’analyses postérieures (Vives-Rego, 2000).

Plusieurs études ont été effectuées pour comparer l’influence des différents fixateurs sur le nombre et sur les propriétés des cellules bactériennes et phytoplanctoniques. Le plus souvent les échantillons y ont été analysés à l’aide de la microscopie à épifluorescence et/ou de la cytométrie en flux.

Dans une étude sur la préservation des cellules bactériennes fixées avec du formaldéhyde (4%), conservées à 4°C à l’obscurité et analysées avec le kit BacLight probe (Decamp, 1998), la diminution de la concentration des cellules était la plus significative lors de la première semaine. Après 3 mois, la concentration ne correspondait plus qu’à 30-63% de la concentration initiale. L’attachement à la surface de la bouteille ne jouait pas de rôle important.

De même, avec du glutaraldéhyde à 2,5 %, une perte importante de bactéries (de 24% à 50%) était observée entre 7 et 29 jours après la fixation, dans les échantillons conservés à 4°C (Gundersen, 1996). Dans ce cas également l’attachement des cellules à la surface de la bouteille ou du tube était non-significatif. Seulement 0,4 à 0,6% des cellules restaient attachées aux parois du flacon après une année. L’activité des protéases était le facteur le plus important sur la perte des cellules. En effet, l’addition d’inhibiteur de protéases a permis une meilleure conservation des bactéries.

Contrairement à ces deux études, Turley et Hughes (1992) ont suggéré une forte influence de l’attachement des bactéries aux parois du tube ou de la bouteille. Les auteurs ont utilisé du glutaraldéhyde et du formaline comme fixateurs. Ils ont découvert qu’entre 41% et 48% des bactéries étaient attachées à la surface du tube après 11 mois de conservation. L’ultrasonication des échantillons induit un détachement des bactéries et donc une augmentation de la concentration des bactéries libres (de 5% à 199% !). Ce pourcentage varie beaucoup, et la sonication ne permet pas de récupérer la concentration cellulaire initiale. La perte des cellules, non expliquée par l’attachement aux surfaces, pourrait tout de même atteindre entre 29 et 91% de la concentration initiale.

Le glutaraldéhyde est un des fixateurs les plus utilisés pour les bactéries dans les analyses par microscopie électronique car il ne change pas la forme des cellules. Il est aussi très utilisé pour l’analyses du phytoplanton par microscopie à épifluorescence, parce qu’il conserve la fluorescence des pigments (Vaulot, 1989). Cette méthode de conservation avec le glutaraldéhyde a été décrite par Crumpton (1987). Elle permet de conserver la fluorescence de la chlorophylle et l’intégrité des cellules analysées. Des tests par cytométrie en flux réalisés sur différentes espèces d’algues (Vaulot, 1989) ont prouvé que les échantillons fixés avec du glutaraldéhyde à 1% et conservés dans l’azote liquide permettent, pour la plupart des espèces analysées, une perte minimale de cellules. La diffusion aux petits angles et la fluorescence naturelle induite par la chlorophylle étaient bien préservées. Par contre l’intensité de fluorescence de la phycoérythrine est parfois augmentée et de manière significative. Cette technique de fixation avec le glutaraldéhyde donne de meilleurs résultats pour le picoplancton de petite taille (<2 μm, par exemple Synechococcus ou Prochloirococcus).

Mis à part le glutaraldéhyde, il existe d’autres fixateurs utilisés pour les analyses microbiennes à l’aide de la cytométrie en flux. Ce sont le formaldéhyde dérivé du paraformaldéhyde par hydratation et chauffage (il doit être utilisé frais !) et le formaline qui est composé de 35% de formaldéhyde et de 10% de méthanol pour stabiliser la solution et éviter la formation des acides. Le paraformaldéhyde n’a pas le pouvoir de fixateur quand il est polymérisé et donc il doit être dissout par réchauffement (Vives-Rego, 2000). Pour plus d’infos sur ces fixateurs, je vous renvoie vers l’article “Formaldehyde, formalin, paraformaldehyde and glutaraldehyde : What they are and what they do. (from J. Kiernan’s home page)”.

Pendant les études comparatives de quatre types de fixateurs effectuées sur l’espèce phytoplanctonique Chrysochromulina polylepis (Eschbach, 2001) des auteurs ont comparé les effets à l’aide de la cytométrie en flux : paraformaldéhyde, formaldéhyde, glutaraldéhyde et méthanol. Pour les trois premiers, ils ont utilisé des concentrations allant de 0,25% à 4,0%. Pour le méthanol, celles-ci variaient de 15% à 35%. Tous les échantillons étaient conservés à 4°C pendant 1 à 3 semaines. Après une semaine, la fraction de cellules conservées était de 90% dans le cas du glutaraldéhyde 0,25% et du méthanol 30% ; et de 75% pour le formaldéhyde et le paraformaldéhyde.
Par contre les études de Hall (1991) effectuées à l’aide de la microscopie à épifluorescence ont prouvé que le paraformaldéhyde est le meilleur fixateur pour le picophytoplancton par rapport au glutaraldéhyde et au formaldéhyde. Les phycobylines et la chlorophylle a ont été préservées jusqu’à 15 semaines grâce au paraformaldéhyde 0,2%.

Des études très exhaustives pour vérifier la conservation des populations de bactéries et de picoeucaryotes dans des échantillons analysés par cytométrie en flux, ont été conduits par Trousselier et al. (1995). Les échantillons étaient fixés avec du glutaraldéhyde (GA), formaldéhyde (FA) et paraformaldéhyde (PFA), dont la concentration finale était égale à 2% dans l’échantillon et conservés 3 mois dans différentes conditions de températures (5°C et -196°C). Les cellules ont été marquées à l’aide du marqueur DAPI (marqueur des acides nucléiques : 4’,6-diamidino-2-phénylindole). Le nombre de cellules, la fluorescence et les propriétés de diffusion de la lumière ont été comparés. La fluorescence maximale qui correspond au marquage optimal des cellules était obtenue pour les échantillons fixés à l’aide de FA et PFA. La fluorescence pour les échantillons fixés à l’aide de GA était significativement plus faible. Seule la conservation dans l’azote liquide avec FA ou PFA permettait de garder 4 mois un nombre de bactéries et de picoplancton proches de la concentration initiale et provoquait une évolution limitée de la fluorescence.

b) La conservation

La température de conservation joue un rôle important pour le maintien des propriétés cellulaires. Des études sur les bactéries détectables par microscopie à épifluorescence (Turley, 1994) ont été effectuées sur des échantillons fixés avec du glutaraldéhyde (2,5% de la concentration finale) et conservés à une température ambiante (17-22°C), à 10°C et à 6°C. Les résultats montrent que des températures plus basses permettent une meilleure conservation des bactéries. Toutefois, dans tous les cas, la perte cellulaire était considérable et elle augmentait exponentiellement avec le temps. Selon les tests de Trousselier et collaborateurs (1994) la conservation des échantillons à 4°C pendant 3 mois provoque la perte rapide des cellules par rapport à celle des échantillons préservés à -196°C.

Hall (1991) conseille la conservation des échantillons fixés avec le paraformaldéhyde 0,2% à -20°C plutôt qu’à -70°C, car les résultats obtenus avec ces deux températures sont comparables et une congélation à -20°C est plus facile à obtenir sur un navire pendant une campagne.

Une méthode souvent utilisée pour conserver les échantillons consiste à les placer à 4°C pendant environ 15 minutes afin de permettre la pénétration du fixateur (par exemple paraformaldéhyde 2%). Ensuite ces échantillons sont plongés dans de l’azote liquide pour assurer une congélation rapide et une conservation à long terme (Vaulot, 1989 ; Trousselier, 1995 ; Vives-Rego, 2000). Malheureusement, la congélation peut provoquer la destruction de cellules. Le niveau de destruction dépend du mode de congélation. De la glace intracellulaire peut se former lors d’une congélation très rapide, car l’eau congelée ne peut pas sortir de la cellule. La congélation rapide par l’azote liquide évite la formation de « gros » cristaux de glace, ce qui permet de mieux conserver les cellules. Avec une vitesse de congélation modérée seulement une partie de l’eau sort de la cellule. Enfin, quand la vitesse de congélation est trop lente la totalité de l’eau sort de la cellule suite à la cristallisation, ce qui provoque une destruction. Pour diminuer/éviter cette destruction des cellules induite par la congélation, des cryoprotecteurs peuvent être ajoutés. Cependant il a été rapporté que la congélation lente suivie d’une fixation chimique conserve mieux les propriétés des cellules que les cryoprotecteurs (Lepesteur, 1993).


Références

- Crumpton W.G., 1987. A simple and reliable method for making permanent mounts of phytoplankton for light and fluorescence microscopy. Limnol.Oceanogr., 32 : 1154-1159.

- Decamp O.,Rajendran N., 1998. Bacterial loss and degradation of bacterial membrane in preserved seawater samples. Marine pollution bulletin, 36 : 856-859.

- Eschbach E., Reckermann M., John U., Medlin L.K., 2001. A simple and highly efficient fixation method for Chrysochromulina polylepis (Prymnesiophytes) for analytical flow cytometry. Cytometry, 44 : 126-132.

- Gundersen K., Bretbak G., Heldal M., 1996. Factors influencing the loss of bacteria in preserved seawater samples. Marine ecology progress series, 137 : 305-310.

- Hall J.,1991. Long-term preservation of picoplankton for counting by fluorescence microscopy. British Phycological Journal, 26 : 169-174.

- Kiernan J.A., 2000. Formaldehyde, formalin, paraformaldehyde and glutaraldehyde : What they are and what they do. Microscopy Today,8-12.

- Lepesteur M., Martin J.M., Fleury A., 1993. A comparative study of different preservation methods for phytoplankton cell analysis by flow cytometry. Marine Ecology Progress Series, 93 : 55-63.

- Trousselier M., Courties C., Zettelmaier S., 1995. Flow cytometric analysis of coastal lagoon bacterioplankton and picophytoplankton : fixation and storage effects. Estuarine, Coastal and Shelf Science, 40 : 621-633.

- Turley C.M., Hughes D.J., 1992. Effects of storage on direct estimates of bacterial numbers of preserved seawater samples. Deep sea research, 39 : 375-394.

- Turley C.M., Hughes D.J., 1994. The effect of storage temperature on the enumeration of epifluorescence-detectable bacterial cells in preserved seawater samples. J.mar.biol.Ass.U.K., 74 : 259-262.

- Vaulot D., Courties C., Partensky F., 1989. A simple method to preserve oceanic phytoplankton for flow cytometrie analyses. Cytometry, 10 : 629-635.

- Vives-Rego, J., Lebaron, P., Nebe-Von Caron, G. (2000). Current and future applications
of flow cytometry in aquatic microbiology. FEMS Microbiology Reviews 24 : 429-448.